Successions

De combien puis-je disposer?

Yves a deux enfants d’un mariage dissous par le divorce, Pierre et Félix. Il vit avec Fabienne depuis de nombreuses années. Il souhaite régler sa succession de son vivant, par un testament, en laissant tous ses biens à Fabienne. Il se souvient qu’un ami lui a indiqué qu’une part de la succession était réservée à certains héritiers et que ceux-ci ne pouvaient pas en être privés. Il souhaite savoir si la loi fait obstacle à son projet et, si tel est le cas, de combien il peut disposer afin de favoriser le plus possible Fabienne.

Yves a bien été renseigné. Il est exact que le Code civil limite la liberté de la personne qui veut attribuer ses biens par testament en prévoyant que certains héritiers – dits réservataires – doivent obligatoirement recevoir une part de la succession. Cette part est appelée réserve ou part légitime. L’ensemble des réserves constitue la part réservée du patrimoine. Tout le reste, qui est à la libre disposition du testateur, constitue la quotité disponible.

Les héritiers réservataires sont le conjoint et les descendants: enfants, à leur défaut, petits-enfants, etc. La loi reconnaît également une réserve aux père et mère lorsque le défunt n’a pas de descendant. En revanche, tous les autres parents ne bénéficient d’aucune protection. Ils peuvent donc être exclus de la succession par le testateur. Il en va ainsi par exemple des oncles, tantes, frères et sœurs. Une personne célibataire sans enfant, dont les parents sont décédés, ne possède donc aucun héritier réservataire. Elle peut attribuer à sa guise l’ensemble de ses avoirs à un ami ou à quelqu’un d’autre.

Quant au montant de la réserve, il représente une fraction de la part légale qui reviendrait à l’héritier s’il n’y avait pas de testament. La réserve de chaque descendant est de trois quarts de sa part légale, celle du conjoint d’une demie, et celle des père et mère d’une demie également.   Pour déterminer la part légale de chaque héritier, il faut tenir compte des héritiers en présence. Nous considérerons les cas les plus fréquents. Lorsqu’il y a des descendants et un conjoint, la part légale de ce dernier est d’une demie. En conséquence, sa réserve est d’un quart de la succession (une demie de la demie). Quant à la part de l’ensemble des descendants, elle s’élève à une demie; leur réserve est de trois huitièmes (trois quarts de la demie). La quotité disponible, que le testateur pourra librement attribuer, est de trois huitièmes (entier du patrimoine auquel sont soustraites la réserve du conjoint d’un quart et celle des descendants de trois huitièmes).

Faute de conjoint survivant, la portion réservée du patrimoine en faveur des descendants est de trois quarts. Il reste une quotité disponible d’un quart au disposant.

Si l’on applique ces principes à la situation d’Yves, on obtient le résultat suivant. Chacun de ses deux enfants a droit à une part légale de la succession d’une demie. La part réservataire de chacun d’eux est de ce fait de trois huitièmes (trois quarts d’une demie). La portion réservée, constituée des deux réserves, est de trois quarts. La quotité disponible, qu’Yves peut attribuer à Fabienne, est d’un quart. Remarquons cependant que cette part sera très lourdement imposée puisque la bénéficiaire n’a aucun lien de parenté avec le défunt (cf. précédente chronique, La Liberté du 28.09.1999, page 33).

Au cas où Yves ne tiendrait pas compte des réserves de ses enfants, en instituant Fabienne héritière pour l’ensemble de sa succession, comme il en avait l’intention, Pierre et Félix pourront faire valoir leur droit à la réserve par une action judiciaire, appelée action en réduction, dirigée contre Fabienne. Le testament ne sera pas considéré comme nul, mais la part de Fabienne sera réduite au quart, afin de rétablir la réserve de chaque enfant de trois huitièmes.

En conclusion, toute personne qui désire faire un testament vérifiera d’abord le cercle des personnes qui ont un droit protégé et l’étendue de la réserve de celles-ci. Il préservera ainsi sa famille de difficultés ou même de procès dans le cadre du partage de sa succession.

En certaines circonstances particulières, un héritier peut être privé de sa part réservataire. Il est, selon les termes de la loi, exhérédé. Les conditions très strictes que posent le Code civil a une telle disposition seront  examinées à l’occasion d’une prochaine chronique.

Grégoire Piller

Paru dans La Liberté